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Olivier Cabrera (ECE)

Ecriture, Enseignement, Course à pied

"Déclassées"....???!!!

"Déclassées"....???!!!

« Déclassées »... ???!!!

Quand les pommes se paument, comme le consommateur et le citoyen...

Le mois de mai signe gustativement la fin d’une ère : mon stock de pommes « maison » (j’adoooore les pommes !) est enfin épuisé. Après plusieurs mois sans y avoir mis les pieds, je retourne donc au marché local pour me réapprovisionner.

Un premier marchand propose à 1€/kg : Golden, Fuji et Chanteclair. Et à 2€/kg : ... Golden, Fuji et Chanteclair. Au premier coup d’œil, je ne vois aucune différence majeure entre les deux catégories dont le prix varie pourtant du simple au double... Je présuppose des différences d’origine, de variété... puisque toutes ces pommes sont parfaitement mûres, rondes et en excellent état. En parfait pommivore, je sais savourer le goût de toute pomme et je suis plutôt très économe donc j’opte sans grande réflexion métaphysique pour un mix Golden-Chanteclair à 1€...

Un deuxième marchand, en face, propose à 1€ : Boscop, Idared, Golden et à 2€ :... Boscop, Idared, Golden. Idem : aucune différence manifeste à mes yeux entre les deux. Allez hop ! C’est parti pour une dizaine de Boscop à 1€! Au moment de payer, voyant les produits aux deux prix très similaires, je crois bon de préciser au marchand qu’il s’agit bien de celles à 1€.

« Oh vous savez, on les reconnaît ! me dit-il.

- Ah oui, et comment ?

- Elles sont déclassées !

- Déclassées ?

- Oui, elles sont déclassées parce qu’elles ne font pas exactement la même taille.

- Mais elles ont le même goût, non ?

- Oui.

- Okay... »

A y regarder de plus près, il est vrai qu’une légère différence de taille les sépare... Je ne m’en étais même pas rendu compte, tant elle était insignifiante... et totalement secondaire puisque le goût et les apports nutritifs ne dépendent pas spécialement de la taille du produit... Au contraire, les pommes plus petites ont l’avantage de permettre d’en manger plusieurs de différentes sortes et ainsi de varier les plaisirs. Donc de là à les "déclasser"... je compatissais presque, devant ce jugement violent pour ne pas dire insultant, cette sentence irrévocable pour ces modestes victimes sans défense, qui n'avaient pas atteint la croissance escomptée...

Mais bon, tant mieux pour moi et mon porte-monnaie si elles n’attirent pas le consommateur moyen...

Pourquoi raconter cette petite anecdote ? Elle révèle une absurdité totale à deux niveaux.

1) Sur le plan de l’alimentation et des pommes tout d’abord, elle témoigne de contradictions manifestes. D’un côté, les consommateurs se plaignent que « c’est la crise », que leur pouvoir d’achat se réduit, que « ce qui compte, c’est le goût » et de l’autre ils sont prêts à payer deux fois plus cher pour des produits similaires gustativement... Certes, les écarts et montants sont faibles, mais mis bout en bout, ils s'ajoutent et finissent par devenir significatifs.

Dans le même temps, il paraît qu'on lutte de plus en plus contre le gâchis alimentaire.. et on s’impose de produire nettement plus que de besoin, les fruits « différents » étant exclus ou presque. En grande surface, les pommes « déclassées » finissent généralement directement à la poubelle... alors qu'elles pourraient satisfaire la faim de ceux qui n'ont pas les moyens de se nourrir - mais c'est un autre sujet.

2) Cette petite aventure révèle aussi et surtout la méfiance et le mépris qui entourent « les petites différences ». Ces pommes rejetées parce qu’elles ne rentrent pas dans le moule sont à l’image des hommes dont le comportement dévie des normes, de ce qui est considéré comme « attendu par la société ». Mettre au ban une pomme parce qu’elle est un peu trop petite, c’est comme, dans d'autres circonstances, mettre de côté un homme ou une femme parce qu’il/elle s’habille différemment du milieu dans lequel il/elle évolue, c’est regarder bizarrement quelqu’un dont le langage s’écarte du vocabulaire considéré comme légitime dans un certain univers, c’est refuser de mettre la moyenne à une dissertation parce qu’elle ne comporte pas les sacro-saintes trois parties, c'est prendre pour fou quelqu'un qui court tous les matins plutôt que s'accorder une heure de sommeil supplémentaire.

En quoi s’habiller différemment justifie-t-il des regards déplacés, des questionnements sur l’intelligence et l’intégrité de celui qui les porte ? En quoi mener une réflexion philosophique, complète, complexe et étayée en quatre parties serait-il nécessairement sanctionnable ? En quoi une pomme de 120g est-elle moins bonne qu’une pomme de 150g ? Le règne et le poids des normes dans les relations et les structures humaines se retrouve dans notre lien aux objets et s'en nourrit... C'est ainsi que naissent les cercles vicieux et, en l'occurrence ici, celui de la tolérance vis à vis de certaines différences pourtant dénuées de sens...

...

En tout cas, les pommes que j’ai achetées sont délicieuses et c’est avec plaisir que je cueille les petites différences qui font la richesses des personnes que je côtoie... Le conformisme, les clones, la trop grande normalité, c'est l'uniformité, le contraire de l'originalité... et de la vie.

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