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Olivier Cabrera (ECE)

Ecriture, Enseignement, Course à pied

Philosophie : la course à pied en tête

L’épreuve inaugurale du baccalauréat tant redoutée s'est achevée à midi. Les sujets de philosophie sont tombés... Et les corrigés aussi. Mais il existe une infinité de façons d’aborder une question philosophique. L’essentiel est de le faire avec... philosophie justement, de parvenir à se l’approprier, à l’analyser avec recul et à l’intégrer dans une démarche argumentative. Je l’ai dit et répété cette année à mes élèves. Et le meilleur moyen pour y parvenir, et pour se distinguer, c’est d’apporter un regard profond et original sur un thème qui nous tient à cœur. Inutile de "recracher" des citations incomprises ou sans rapport avec le sujet ou de mémoriser les théories de dizaines d'auteurs sans en percevoir le sens.

C’est l’objet de cet article. Il montrera comment un thème pourtant aussi éloigné de la philosophie (en apparence) que la course à pied peut être utilisé pour traiter tout type de sujet. Je reprendrai donc à titre d'illustration 4 des 8 sujets de dissertation des baccalauréats généraux et technologique en apportant, pour chacun d’eux, un argument clé de l’exposé qui repose sur un développement axé sur la course à pied.

SUJETS SERIE L

Sujet 1 : Nos convictions morales sont-elles fondées sur l'expérience ?

Nos convictions morales correspondent à ce qui fonde pour nous le bien et le mal, à ce que l’on estime être bon et juste de faire dans une situation donnée. Elles découlent aussi de nos idéaux en même temps qu'elles les définissent.

L’expérience renvoie à un vécu, à quelque chose d’observable, de visible, de sensible...

Argument possible reposant sur la course à pied :

Les 24 heures de Champigneulles ont été l’occasion de saisir la valeur de comportements humains sortant de l’ordinaire et illustrant au plus haut point certains idéaux de moralité.

Alors que, de plus en plus, le travail est perçu uniquement comme une source de rémunération et/ou une contrainte à éviter, sur une telle épreuve, chacun trouve, reconnaît et vit la valeur de l’effort, sans aucune salaire à la clé. Le seul objectif, c'est de donner le meilleur de soi-même et de repousser ses limites, au cours d'un voyage intérieur ponctué de moments très difficiles... L'effort est long, intense et recherché en lui-même et pour lui-même. Par ailleurs, bien que l’individualisme soit, selon certains sociologues comme Emile Durkheim ou Max Weber, caractéristique des sociétés modernes, des actes de solidarité ont jalonné cette épopée sportive du début à la fin. Ainsi, des bénévoles n’ont pas hésité à sacrifier leur weekend pour le plaisir des coureurs, malgré la pluie, en les assistant, les ravitaillant et les encourageant sans relâche. S’il est des valeurs qui se perdent, ce sont bien des expériences aussi fortes qu’une course de 24 heures qui permettent à ceux qui les vivent de puiser des modèles de comportements dont ils pourront s’inspirer, espérant que ceux-ci puissent refonder une société en cours de fragilisation... D'une certaine manière, faire l'expérience d'une telle épreuve, c'est redonner du sens, de la force et de la valeur à nos convictions morales menacées d'extinction - la valeur du travail et le dépassement des intérêts individuels ici.

Sujet 2 : Le désir est-il par nature illimité ?

« Désir » et « besoin » ne sont pas synonymes. Le désir renvoie à quelque chose de plus profond, à une soif irrésistible et souvent difficile à définir et à expliquer pour atteindre un objectif parfois flou. Le besoin, au contraire, est satisfait par un objet précis et défini.

Argument possible reposant sur la course à pied :

Dans le cadre d’une passion, telle la course à pied, beaucoup de coureurs rêvent de participer et de terminer une course précise, parfois avec un certain chrono. Par exemple, beaucoup de débutants rêvent de courir 10 km, d’autres un marathon. D’autres, enfin, souhaitent les réaliser avec un temps honorable, estimant qu’une fois atteint, cet objectif les rendra pleinement heureux et satisfaits. Ce qui se produit en réalité est très différent. Une fois l'objectif initial atteint, un manque se fait sentir... Et un autre objectif, plus ambitieux, le remplace pour rompre l'ennui naissant, avec en arrière plan une soif de toujours plus, de toujours mieux... C’est ainsi que certains coureurs en viennent à parcourir des distances impensables pour le commun des mortels : 50, 100, 200, 1000 km... sans jamais avoir eu à l’esprit à leurs débuts qu’il soit humainement possible d’atteindre de telles performances. Cette expérience, commune plus ou moins fortement à tous les coureurs ou presque, révèle que le désir est insatiable et sans limite. Il réside, justement, ici, dans le dépassement de ce qu’on estimait être « nos limites ».

SERIE ES

Sujet 1 : Savons-nous toujours ce que nous désirons ?

Désir : voir sujet ci-dessus

Argument en lien avec la course à pied (idéal pour une 3e partie de dissertation) :

On peut savoir ce qu’on désire... tout en ne sachant pas ce qu’on désire. On peut croire qu’on sait ce qu’on désire, mais on l’ignore en réalité. Dans le monde de la course à pied, les épreuves de très longue distance sont en plein essor, qu’il s’agisse de courses sur route ou en montagne (trails). Pour participer à ces épreuves qui dépassent de plus en plus souvent 100 km, une préparation et des efforts considérables, reposant donc sur un désir profond et identifié en apparence, sont nécessaires. Le coureur souhaite aller au bout d’une épreuve qui le fait rêver et lui donne des frissons rien qu’en y pensant : un 100 km sur route, une course mythique comme l'Ultra Trail du Mont Blanc... C'est ce qui lui permet d'accepter de sacrifier une partie de sa vie personnelle, familiale, voire professionnelle. Les pratiquants de "l'ultradistance" se comptent par centaines voire milliers en France.

Mais pourquoi cette vie et cette envie ? Pourquoi s’imposer de telles contraintes de préparation ? Pourquoi accepter de se faire mal, physiquement et mentalement sur une épreuve que rien ne nous impose et qui, par moments, nous fera regretter notre présence et désirer que tout se termine au plus vite ? D’où vient cette ambition profonde qui à science et raison déroge ? Que recherchent ces sportifs souvent qualifiés de "fous" par d'autres, sportifs ou non? Souvent, le coureur lui-même l’ignore... Parfois, il est conscient de cette ignorance. Dans tous les cas, il désire au plus profond de lui atteindre ces objectifs surréalistes sans pour autant en connaître les déterminants intérieurs. Il sait ce qu'il désire sans le savoir vraiment...

Sujet 2 : Pourquoi avons-nous intérêt à étudier l'Histoire ?

Attention : il s’agit de « l’Histoire » et non de « l’histoire ». Seuls les événements à dimension historique sont donc concernés, ce qui exclut donc « les histoires » : la nôtre (à moins d’être soi-même un héros !), et celle de nos proches, par exemple.

Il peut y avoir plusieurs types d’intérêt : humain, intellectuel, financier, moral, professionnel...

Argument en lien avec la course à pied

L’Histoire peut, entre autres, nous fournir des références, des modèles, des sources d’inspiration qui nous permettront d’exprimer le meilleur de nous-mêmes. Penser aux exploits de héros historiques, sans chercher à les égaler mais en vue de voir ce dont l’homme est capable, peut constituer une source de motivation et de courage exceptionnelle. Ainsi, un des plus grands coureurs de tous les temps, Yannis Kouros, d’origine grecque explique en partie ses performances hors du commun par son attachement mystique à l’histoire de son pays. Vainqueur du Spartathlon, épreuve mythique de 245 km avec un record de vitesse inégalé, Yannis Kouros déclare dans ses écrits qu’il pensait, lors de cet exploit, au chemin parcouru par Philippidès, héros grec qui a relié Sparte et Athènes en courant lors de la guerre contre les Perses. Il se projetait dans les difficultés traversées par ce héros national, porté par le désir inébranlable de défendre son pays et dépassant toute douleur physique et mentale. Kouros s’interdisait, lui qui était épargné par la guerre, la faim, la soif, de céder à la fatigue et à la faiblesse. Doté d’une volonté inébranlable et habité par son ancêtre, il est parvenu à transcender ce qui pouvait être une limite... L’exemple de Yannis Kouros, seul homme également à avoir couru plus de 300 km en 24 heures, montre donc à quel point s’imprégner d’événements historiques majeurs et de leurs acteurs peut nous permettre d’accomplir des prouesses exceptionnelles.

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